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La terre crue, comme une évidence

Dans le contexte actuel de raréfaction des matières premières, en particulier du sable de mer et de lac et, à la fois, d’augmentation des déchets issus du secteur du bâtiment, la terre crue s’impose comme une évidence. Nous sommes convaincus que la terre crue est un matériau de construction d’avenir !

Une matière tout a la fois fondamentale et symbolique

Avez-vous touché un mur en pisé ? Ou logé dans une bâtisse de terre crue en France ou à l’étranger ? Oui ! Alors vous avez fait ainsi l’expérience de cette matière si naturelle. La couleur, l’odeur, la plasticité, la granulométrie de la terre crue offrent un rapport sensible qui nous touche et parle en profondeur à nos racines. Il existe autant de couleurs, de textures que de types de terres, rendant l’expérience à chaque fois unique. Elément fondamental, elle évoque les constructions traditionnelles sur les cinq continents. Matière symbolique aussi, elle peut renvoyer aux origines du monde et aux songes.

La terre crue, un matériau de construction d’avenir

Redonner ses lettres de noblesse à la terre crue, amener les maîtres d’ouvrage – publics et privés – à faire évoluer leur échelle de valeur sur cette matière, démontrer que ces techniques ancestrales se prêtent à une architecture belle, contemporaine, pérenne et adaptée aux enjeux sociétaux : ce sont là quelques-unes des convictions de l’agence Seuil architecture adossée à son pôle R&D. Car nous souhaitons mettre en oeuvre aujourd’hui plus largement encore ce matériau et ses riches techniques pour construire des bâtiments durables et résilients.

Bauge, pisé, terre coulée, adobe, brique de terre comprimée (BTC), brique extrudée, torchis, terre allégée, enduit… Autant de techniques de mise en oeuvre, autant de caractéristiques et de rendus qui, tous, ont pour point commun la sobriété de procédé, de consommation d’énergie et d’atteinte à l’environnement.
Sous l’égide de la chaire UNESCO « Architectures de terre, cultures constructives et développement durable », le TERRA Award distingue d’ailleurs depuis 2016 les architectures contemporaines en terre crue remarquables. Ce premier prix mondial des architectures en terre crue permet de souligner l’engagement responsable des maitres d’ouvrage qui font le choix de la terre crue, la créativité des concepteurs et maîtrise de savoir-faire des artisans et des entrepreneurs.

La terre crue abrite 2.5 milliards de personnes sur les cinq continents

La terre crue est un matériau sain, naturel, recyclable et disponible partout, en quantité. Pour vous en convaincre, voici quelques-uns de ses nombreux avantages démontrant qu’elle est une ressource parfaitement indiquée pour la conception de projets de qualité.

• La terre crue est écologique ; utilisée brute (sans mélange avec du ciment), elle est réutilisable à l’infini et sa mise en oeuvre nécessite peu d’eau et d’énergie.
• La terre crue présente des qualités de régulation thermique et hygrométrique exceptionnelles, adaptées aux surchauffes estivales et aux températures annoncées à l’horizon 2050,
• La terre crue participe à la qualité de l’air intérieur : elle ne dégage aucune particule volatile, absorbe les mauvaises odeurs et crée des ambiances saines.
• La terre crue réactive les mises en oeuvre manuelles, valorisant le savoir-faire essentiel des artisans et créant, de la sorte, un nouveau rapport aux architectes ou spécialistes.
• La terre crue est un matériau esthétique, aux qualités kinesthésiques fortes et chaleureuses.

Les constructions en terre crue sont simples à entretenir, réparer et faire évoluer, elles bonifient le patrimoine bâti, facilitant ainsi sa transmission aux générations futures.

15% du patrimoine architectural français est en terre crue mais seulement 0.01% des constructions neuves au cours de ces cinq dernières années.

FFB et Terres Contemporaines

Selon l’Atelier Matière à Construire (Amàco), doté d’un centre de recherche et d’expérimentations des matières brutes, les principaux freins à la mise en oeuvre de la terre crue résident principalement dans la faible reconnaissance de ce matériau et à la perte des savoir-faire. Le manque de visibilité des références contemporaines, qui renseignent sur l’état de l’art, ainsi que la dimension économique de sa mise en oeuvre, au regard du contexte industriel de la construction, expliquent également la faible part qu’occupe la terre crue dans les projets architecturaux actuels.


Notre retour d’expérience sur la terre crue

Dans différents projets, l’agence Seuil architecture a eu l’occasion de mettre en oeuvre la terre crue en utilisant des briques :
• les briques en adobe, issues de techniques anciennes, dans des projets de rénovation. Ces briques de terre crue sont fabriquées à la main, en mélangeant des terres fines, des fibres végétales ou animales et un peu d’eau. Le séchage se fait naturellement au soleil en retournant régulièrement les briques.
• les briques de terre comprimée (BTC) à l’occasion de projets neufs. La fabrication de ces briques, issues de techniques plus récentes, s’effectue par compression mécanique ou hydraulique de terre crue, puis séchage (mise sous cure consistant en un empilement minutieux des briques sur une palette, couvertes d’une bâche en vue de créer une étuve).

Dans les deux cas, les briques de terre crue ont pour avantage d’être maçonnées avec un mortier composé de terre, de manière traditionnelle, sur le chantier. A la différence de solutions à base de blocs de parpaing ou de terre cuite, leur mise en oeuvre se fait de manière quasi-sèche.

La réhabilitation d’une ferme en adobes

Mise en valeur des adobes dans une ambiance chaleureuse

Toutes les créations ou modifications d’ouvertures ont été rendues possibles par le réemploi de briques de terre crue provenant de la bâtisse historique.
Ce type d’intervention démontre que les bâtiments anciens construits en terre crue se révèlent faciles à rénover. Ils appartiennent d’ores et déjà pleinement au patrimoine de demain, offrant une large étendue de finitions (ici, la finition rugueuse des fibres et du moulage à la main, spécifique aux adobes).

L’enjeu de la réhabilitation de ce corps de ferme en terre crue, sur la commune de Castillon-Savès (Gers), consiste à retrouver le caractère initial de cette maison mise à mal par des rénovations successives où les adobes n’ont pas été valorisées.

La terre crue a été mise à nue et débarrassée des enduits de ciments qui empêchaient sa perspirance, sa capacité à réguler la vapeur d’eau et donc à évacuer l’humidité. Les sols ont également été traités pour garantir une hygrométrie équilibrée. Un sol sec pourrait en effet assécher les murs et ainsi provoquer de lourds désordres. Aussi, les façades ont été équipées de drains à leur pied, plutôt que de gouttières, afin d’alimenter régulièrement les sols en eau.

La construction de vingt-neuf maisons en ossature bois et BTC

Dans l’écoquartier Andromède, sur la commune de Beauzelle (31), la construction des vingt-neuf maisons de l’îlot 49 bat des records d’utilisation d’éco-matériaux bio et géosourcés avec 32kg/m² de bois et 163 kg/m² de terre (briques de terre comprimée), soit un total de 195 kg/m².

Les BTC, sélectionnées pour la pérennité qu’elles confèrent au bâti, sont assemblées et maçonnées avec un mortier de terre et de chaux sur les refends intérieurs, en remplissage non porteur. Ces briques, qui s’intègrent à structure poteau-poutre béton, sont doublées sur une face d’un demi stil pour répondre aux exigences acoustiques. Le traitement rugueux des joints participe à l’aspect général d’architecture vernaculaire, malgré l’emploi de briques lisses. Le recours à la terre crue permet par ailleurs de surclasser les critères de confort liés à la qualité de l’air.

Autre point remarquable de ce projet : l’entreprise BTPMP (entreprise générale) en partenariat avec Briques Technique Concept a proposé un chantier école de formation à la BTC auprès de ses équipes.

Intérieure en brique de terre crue

Et tant d’autres solutions de terre crue encore à explorer…

Les projets architecturaux de nos maîtres d’ouvrage ne nous ont pas encore donné l’occasion de mettre en oeuvre toutes les formes de terre crue. Les murs en pisé nous semblent une solution architecturale à étudier de près, même si le coût est aujourd’hui une contrainte. Avec leurs states régulières, ils offrent une esthétique remarquables. La mise en oeuvre du pisé apporte par ailleurs d’indéniables avantages : il est possible de monter des murs frais de trois mètres de hauteur et les décoffrer immédiatement. Initialement associée aux charpentier (coffrage en bois), cette technique peut exploiter les branches métalliques utilisées pour le béton et des fouloirs pneumatiques pour accélérer le compactage, outils largement présents dans les entreprises de bâtiment. A réserver aux saisons peu pluvieuses, le pisé offre un rendement de 1 m²/jour/personne.

La terre coulée – Formant des murs porteurs de 30 cm, la technique de la terre coulée sollicite les mêmes compétences que celles utilisées aujourd’hui par les maçons. Sa vitesse d’exécution est plus proche du béton, avec toutefois une mise sous cure obligatoire pour maximiser la prise du ciment (la banche sera protégée par un film plastique). Un mur en terre coulée nécessite une épaisseur plus faible que les autres techniques monolithiques en terre crue. Toutefois, pour limiter les temps de séchage et permettre la rotation des coffrages, ces murs nécessitent l’ajout de ciment, lequel réduit les possibilités de recyclage de la matière et la qualité du bilan carbone.

Nous avons écrit cet article en nous appuyant sur nos propres recherches et expériences de mises en oeuvre de la terre crue, éclairés pour ce faire par les travaux de Joseph Colzani, architecte spécialiste de la terre crue, et de Dominique Gauzin-Müller, architecte spécialiste de l’architecture écologique. N’oublions pas les formations suivies auprès du Réseau français de la construction paille (RFCP), Ecozimut et de l’Ademe (Construction en terre crue aujourd’hui).